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L'arthrose, décriptée par le Docteur Bonnelance

En ce 12 octobre, le monde se rassemble pour marquer la Journée Mondiale contre l'arthrose, une condition qui touche des millions de personnes à travers le globe. C'est une opportunité pour sensibiliser, éduquer et inspirer une action collective pour lutter contre cette affection articulaire.

Dans le domaine de la santé, la connaissance et la prévention des maladies articulaires telles que l'arthrose jouent un rôle crucial dans l'amélioration de la qualité de vie. Nous avons eu le privilège de nous entretenir avec le docteur Bonnelance, chirurgien orthopédiste respecté du Centre Médical Marignan à Bruxelles, afin de démystifier les tenants et aboutissants de l'arthrose, d'apporter une perspective précieuse et les options de traitement disponibles.

Dans cette interview captivante, nous explorerons une gamme de sujets allant des symptômes et des diagnostics à l'évolution des interventions chirurgicales. Préparez-vous à plonger dans une discussion éclairante alors que le docteur Bonnelance partage son savoir-faire et sa vision concernant l'arthrose et les moyens d'améliorer la qualité de vie des patients qui en souffrent.

Interview du Dr Bonnelance


  • Pouvez-vous vous présenter en quelques mots ?

Je suis le Docteur Maxime Bonnelance, j’ai 35 ans et je suis originaire de Bruxelles.

J’ai été diplômé de mes études de médecine en 2013. Par après, j’ai réalisé un assistanat d’orthopédie de 6 ans que j’ai terminé en 2019 aux Cliniques universitaires Saint-Luc. Je travaille maintenant depuis 5 ans à la Clinique Saint-Jean dans le centre de Bruxelles ainsi qu’à la Clinique universitaire Saint-Luc à Woluwe-saint-Lambert. J’ai également réalisé une sur-spécialisation de 6 mois à Paris, auprès du Docteur Nourissat qui est un spécialiste renommé de l’épaule.

J’ai un tropisme[1] pour l’épaule mais tout orthopédiste connaît l’arthrose.

  • Pourquoi avoir choisi ce parcours-là ?

L’heure est à la sur-spécialisation, nous devenons souvent des chirurgiens monoarticulaires[2]. Ce que j’aime dans l’épaule, c’est que ce n’est jamais la même intervention. De plus, on rencontre tous types de patients ; des jeunes avec des instabilités, des moins jeunes avec des problèmes de tendons et aussi des personnes plus âgées avec de l’arthrose pour des prothèses. Je trouve que la patientèle et le type de pathologies sont très variées.

  • Pouvez-vous nous expliquer ce qu’est l’arthrose ?

L’arthrose correspond à l’usure naturelle du cartilage. Le cartilage est la surface qui recouvre les os au niveau des articulations. Ce dernier a deux rôles.

D’abord, il a un rôle de friction. Cela signifie que c’est lui qui va glisser pour permettre le mouvement.

Ensuite, il a un rôle d’amortisseur. La plupart du temps, l’usure du cartilage se fait avec le temps, de manière naturelle. Cette usure va engendrer principalement des douleurs mécaniques. Elles sont donc surtout liées aux activités physiques.

  • Qu’est-ce-qui provoque l’arthrose ?

Les facteurs de risque basiques sont le poids du patient et ses activités physiques.

Je pense aussi qu’il y a un facteur génétique. Des études sont actuellement en cours pour essayer de déterminer quels sont ces facteurs génétiques, mais ce n’est pas encore tout à fait clair.

Il y a des lignées familiales qui ont beaucoup plus d’arthrose que d’autres.

Je pense que ce sont souvent des pathologies arthritiques mal déterminées qui engendrent petit à petit de l’arthrose.

Comme cause de l’arthrose, nous avons également tout ce qui est étiologie[3] infectieuse. Il suffit qu’une infection apparaisse dans votre genou et le cartilage peut alors s’abîmer rapidement de manière très aiguë.

Les traumatismes au niveau des articulations peuvent également être à l’origine d’arthrose. C’est-à-dire qu’une fracture qui passe par le cartilage, qui n’est pas assez bien traitée et qui laisse une marche d’escalier[4] va créer de l’arthrose beaucoup plus rapidement.

Ensuite, on a toute une panoplie de pathologies qui peuvent effectivement accélérer les processus arthrosiques[5].

  • Quels signes doivent nous inquiéter ?

Le gonflement de l’articulation lors des activités physiques, des douleurs qui apparaissent souvent à la marche pour les articulations portantes et une raideur associée sont des signes classiques d’arthrose.

Cependant, ce sont des symptômes qui vont évoluer très lentement dans le temps, avec l’âge du patient.

Ce sont les symptômes un peu plus aigus qui doivent inquiéter. Une rougeur importante, de la fièvre, une douleur qui n’est pas soulagée par des anti-douleurs classiques ou une impotence fonctionnelle[6] très intense. Ces symptômes doivent nous faire penser à d’autres étiologies de l’arthrose, c’est-à-dire à de l’arthrite ou à une infection. Donc, des pathologies aiguës qui doivent être traitées rapidement.

  • Quelle est la différence entre l’arthrose et l’arthrite ?

D’un côté, il y a un problème mécanique, c’est l’arthrose.

De l’autre côté, il y a toutes les pathologies arthritiques[7] liées aux maladies inflammatoires. Ces maladies inflammatoires comportent soit, des anticorps[8] présents dans le sang, soit des anticorps qui ne sont pas liés à des marqueurs dans le sang, qu’on appelle « séronégatifs ».

En réalité, l’arthrite est une inflammation chronique des articulations. Elle engendre une arthrose beaucoup plus rapide. La finalité est la même, c’est une perte du cartilage qui finit par entraîner un contact os contre os au niveau des articulations, ainsi qu’une douleur ou une raideur et un gonflement, comme l’arthrose classique.

Toutefois, les articulations vont beaucoup plus souvent gonfler et être douloureuses la nuit. Pour ces articulations, il existe des traitements spécifiques anti-inflammatoires ou bien des anticorps monoclonaux[9] contre ces facteurs qui circulent dans le sang et qui attaquent nos articulations.

  • Quelles sont les articulations les plus touchées par l’arthrose?

Les articulations portantes sont le plus souvent touchées. Ce sont la hanche, le genou et la cheville. Dans une moindre mesure, il y a l’épaule.

Ensuite, il y a les petites articulations, comme le pouce, qui sont aussi fort touchées, en raison de la répétition de travaux manuels. L’arthrose est généralement bien tolérée dans toutes les articulations non-portantes, c’est-à-dire par toutes les articulations du membre supérieur.

  • Est-ce possible de prévenir l’arthrose ?

Pour les personnes qui ont un tout début d’arthrose, il faut jouer sur la prévention diététique. Elles doivent perdre du poids.

Ensuite, il existe toute une série de compléments alimentaires, qui sont un peu à la mode en ce moment. Toutefois, certains sont efficaces. Des études prouvent que certains compléments alimentaires ont réussi à arrêter le processus d’usure car ils contiennent des molécules dont le cartilage a besoin pour fonctionner correctement.

  • Des opérations sont-elles réalisées dans le traitement de l’arthrose ?

Oui, beaucoup d’opérations peuvent être réalisées. Il y a notamment les opérations préventives.

Prenons l’exemple d’un patient qui a les jambes dites en O, c’est-à-dire un genu varum[10] assez prononcé. Ces personnes vont appuyer beaucoup plus du côté interne de leur genou et vont développer de l’arthrose. On peut leur proposer de corriger l’axe de leurs jambes, avant que des lésions de cartilage n’apparaissent.

Ces corrections se nomment « ostéotomies de valgisation ». Ce sont des interventions chirurgicales qui consistent en le fait d’ouvrir et de couper le tibia un peu plus bas que le genou pour redresser la jambe. Ce sont des chirurgies qui ne sont pas dénuées de tout effet secondaire mais qui peuvent effectivement éviter une usure précoce des articulations et retarder au maximum la mise en place d’une prothèse.

Ensuite, dans le même style que les ostéotomies pour gérer les problèmes d’axe, il peut être proposé de réaliser des micro fractures, quand l’arthrose est très peu étendue ou touche une zone très localisée. Cela survient généralement en réponse à un traumatisme. Elles sont souvent réalisées par arthroscopie[11], c’est-à-dire qu’on perce 2 petits trous dans l’articulation, à l’endroit où le cartilage est abîmé. On fait ensuite saigner l’os qui se trouve juste en dessous de ce cartilage abîmé. Le saignement va créer une sorte de patch de fibrine[12], qui se réorganisera en fibrocartilages[13]. Ce n’est pas du vrai cartilage mais le fibrocartilage a des propriétés qui se rapprochent un peu plus d’un cartilage normal. C’est pourquoi le patient est soulagé.

- Vers quel âge proposez-vous ce type d’ opération ?

Pour les corrections d’axe, il n’existe pas de limite d’âge. On peut la proposer à des personnes de 55-60 ans. Il faut cependant s’assurer qu’on soit devant une chondropathie[14] de grade 2. Cela signifie que la maladie touchant le cartilage ne s’étend pas à la totalité du cartilage, ni dans toute l’épaisseur du cartilage. Si vous faites une ostéotomie chez quelqu’un qui est déjà en os contre os (donc un grade 4), son arthrose sera quand même douloureuse, car il est déjà à un stade trop avancé.

  • Est-ce possible de traiter l’arthrose autrement qu’avec une opération ?

Oui, bien sûr. Comme traitement conservateur, nous retrouvons classiquement les traitements non-invasifs[15] avec notamment les compléments alimentaires, la perte de poids et la prise d’anti-douleurs de temps en temps. Quelques séances de kinésithérapie peuvent aussi être bénéfiques.

A côté de cela, nous retrouvons la viscosupplémentation. Ce sont des injections d’acide hyaluronique. Cet acide est présent partout dans nos tissus conjonctifs[16] et dans nos articulations sous forme de gel. C’est le liquide synovial, un liquide assez visqueux composé d’une série de chaines d’acide hyaluronique, qui permet de lubrifier l’articulation.

En faisant ces injections, nous rajoutons du lubrifiant sur notre articulation, ce qui va recouvrir un peu plus le cartilage abîmé. Cette méthode soulage le patient sur des périodes relativement longues, qui peuvent aller de quelques semaines à plusieurs années.

Vous avez également les injections de PRP qui sont devenues tendances. Le PRP, c’est du Plasma Riche en Plaquettes. On vous fait une prise de sang, on centrifuge[17] le sang qu’on vous prélève et on ne récupère que le culot de sang qui contient les bonnes cellules et les plaquettes. On injecte cela dans l’articulation problématique. Cela permet de tapisser aussi les zones un peu plus malades du cartilage et d’espérer qu’il se régénère. Les études montrent que cette technique fonctionne, mais je ne pense pas qu’on puisse encore régénérer du cartilage uniquement à l’aide d’une injection de PRP.

  • Quand les patients peuvent-ils remarcher après une opération ?

Pour corriger un axe, on est obligé de couper un os long et de le stabiliser par une plaque. Cela signifie 3 mois sans appui. Il faut attendre que l’os ait guéri. Les ostéotomies pour éviter de l’arthrose dans le futur sont assez contraignantes.

Si le cartilage est trop abîmé et qu’on décide de remplacer l’articulation, les patients sont mis debout le jour même de l’opération.

Au niveau des hanches et des genoux, les opérations deviennent vraiment standard. Les patients marchent déjà quelques pas le lendemain de leur opération. Généralement, pour une prothèse de genou, ils restent entre 3 et 5 jours à l’hôpital. Ils sortent souvent 5 jours plus tard, avec une seule béquille, parfois avec deux, mais ils seront autonomes.

En ce qui concerne les hanches, les patients repartent sans béquille. On compte entre 0 et 3 nuits d’hospitalisation pour une prothèse de hanche.

  • Quand peuvent-ils reprendre une activité physique ?

Il y a toujours un moment inflammatoire qui dure généralement jusqu’à 6 semaines. Les articulations sont donc encore un peu gonflées et sensibles aux activités physiques. Dès que le patient va en faire de trop, l’articulation gonflera.

Après la période de 6 semaines, il faut faire du renforcement musculaire. Ce n’est qu’après 3 ou 6 mois, dépendant du type d’opération, que les patients pourront oublier leur articulation et refaire du sport normalement.

  • Une rééducation est-elle nécessaire après une opération ?

La plupart du temps oui, avec un kinésithérapeute.

Cependant, nous essayons de plus en plus de rendre le patient autonome avec des exercices à faire via des applications, des montres connectées, etc. Le patient reçoit une série d’exercices à faire à son domicile, tous les jours.

En réalité, 80% de la rééducation d’une hanche ou d’un genou peut être faite à la maison. Toutefois, c’est effectivement intéressant d’avoir un kinésithérapeute professionnel qui vous suit et travaille sur votre articulation. Il y a tout de même des choses qu’on ne sait pas faire soi-même chez soi.

  • Quel serait votre conseil pour les personnes souffrant d’arthrose ?

Il faut essayer de maintenir un poids sain et retarder au maximum la mise en place d’une prothèse. Je dis toujours à mes patients, concernant l’arthrose : « Je suis la dernière ligne de traitement. Venez me revoir uniquement quand vous avez tout essayé et que vous en avez marre. »

Il faut surtout dire aux patients que les opérations liées à l’arthrose sont des chirurgies de confort. C’est à eux de décider quand ils veulent être opérés. Il n’y a jamais d’urgence. On peut tout essayer avant de discuter prothèse.

Généralement, j’évite de mettre des prothèses avant 60 ans. On dit maintenant qu’une prothèse tient environ 20 ans. Alors, si vous mettez une prothèse à une personne de moins de 60 ans, il y a de fortes probabilités qu’on doive refaire une chirurgie beaucoup plus invasive avant 80 ans. En effet, les reprises de prothèses sont beaucoup plus invasives que la mise en place d’une prothèse de manière primaire.


ARTHROSE DU GENOU

[1] Un réflexe, une tendance.

[2] Chirurgien qui se spécialise et travaille sur une seule articulation.

[3] Etude des causes des maladies.

[4] Apparence que prend la structure de l’os à la suite d’une fracture (à la suite de déplacements osseux).

[5] Liés à l’arthrose.

[6] Perte totale ou partielle des fonctions d’un membre ou d’un segment de membre, par suite de fracture, de paralysie, etc.

[7] Liées à l’arthrite.

[8] Protéine spéciale de défense qui apparait dans le sang lorsqu’une substance étrangère est introduite dans l’organisme.

[9] Anticorps produits par un clone de cellules (groupe de cellules identiques à la cellule mère dont elles sont issues) et utilisés à des fins diagnostiques et thérapeutiques ; anticorps créés pour traiter une certaine maladie.

[10] Jambes en forme de O. ; déformation de l’angle du genou provoquant une déviation de l’axe de la jambe vers l’extérieur.

[11] Intervention chirurgicale permettant d’explorer l’intérieur d’une articulation et d’y intervenir si besoin.

[12] Protéine du plasma sanguin qui contribue à la formation du caillot, lors de la coagulation.

[13] Tissu composé de cartilage et de tissu conjonctif fibreux dense.

[14] Dégénérescence du cartilage au niveau de l’articulation du genou.

[15] Se dit d’une méthode d’exploration médicale ou de soins nécessitant une lésion de l’organisme.

[16] Tissus biologiques assurant la cohésion des autres tissus de l’organisme.

[17] Séparer par un mouvement de rotation très rapide.